Tp qube
Par:
- Thibaut ROQUES, co-fondateur, TP qube
- Renaud ROQUEBERT, fondateur et associé gérant LHLF
- Hugo CHARY, co-fondateur, TP qube
- Clémence BAUCHE, collaboratrice, LHLF
Les analyses économiques en matière de prix de transfert sont généralement réalisées à partir de données rétrospectives. Les prix des transactions intragroupes ayant lieu aujourd’hui sont donc définis sur la base d’études économiques dont les données datent généralement de plusieurs années (à l’exception notable des transactions financières).
1 – Or, la crise économique et sanitaire que nous traversons crée une rupture nette avec les conditions de marché des années précédentes. Il est donc impératif que les sociétés multinationales revoient, au plus vite, leurs accords prix de transfert au regard de cette nouvelle situation, afin que les prix des transactions intragroupes au cours de la période actuelle reflètent bien les conditions de marché d’aujourd’hui et non celles des années précédentes non impactées par la crise économique.
2 – Cette vigilance concerne également des sociétés dont l’activité a été peu impactée par la crise. Dès lors que les conditions de marché d’une transaction ont évolué, le prix de la transaction devra refléter ce changement.
3 – Ce questionnement concerne en particulier les études de comparables, utilisées dans le cadre de l’application de la méthode transactionnelle de la marge nette (« TNMM »). Ces études calculent la marge de sociétés indépendantes sur plusieurs années (généralement 3 ans). Du fait de la disponibilité des données comptables, les prix de transfert définis aujourd’hui sur la base de ces études reposent sur les données financières de sociétés entre les années fiscales 2016 et 2018. Ces études doivent donc faire l’objet d’ajustements, afin d’estimer l’impact de la crise sur la marge des sociétés comparables retenues. Les différences de propagation de l’épidémie et des réponses apportées entre pays devront également être prises en compte.
En raison de la période que les entreprises traversent, il ne fait aucun doute que la question de l’accès à des financements va prendre une importance croissante. Ces financements pourront être réalisés en interne (à travers des mécanismes de prêts intragroupes, de cash pooling) mais également en externe, par exemple dans les cas où une garantie apportée par une entité du groupe est un prérequis indispensable à l’obtention d’un prêt auprès d’un établissement bancaire.
Ces méthodes de financements posent diverses questions :
1 – S’agissant des prêts intragroupes, il convient de rappeler que la déduction des intérêts peut être limitée dans le cas où le taux appliqué ne correspondrait pas au taux maximum d’intérêt légal (article 39-1, 3° du Code Général des Impôts) ou s’il est supérieur à ce qu’une société aurait pu obtenir d’établissements bancaires. La fixation du taux d’intérêt nouveau ou actualisé doit faire l’objet d’une attention toute particulière des entreprises.
Compte tenu des risques de crédit actuels et de la volatilité des taux d’intérêt, il peut être nécessaire de réaliser une revue des taux d’intérêts prévus dans les conventions intragroupes déjà conclus. Par ailleurs, concernant les nouveaux contrats de prêt, il est impératif de réfléchir aux meilleurs moyens d’établir un juste taux de marché (par exemple, les transactions comparables internes antérieures à la crise sont vraisemblablement à proscrire).
2 – S’agissant des garanties octroyées entre entités du groupe, les analyses doivent être réalisées avec une rigueur accrue, dans un contexte de récession où la probabilité de faillite des sociétés prises individuellement est plus élevée. Les frais associés à ces garanties doivent respecter le principe de pleine concurrence, et prendre en compte les probabilités de défaut actualisées pour l’entité emprunteuse et l’entité garante.
3 – S’agissant du recours au cash pooling, il peut être nécessaire de réévaluer la rémunération de la centrale de trésorerie. Un sujet important concerne l’évolution des fonctions, actifs et risques des centrales de trésorerie situés dans des pays autres que le siège de la société. Il est attendu que certaines décisions critiques pour le futur de l’activité de l’entreprise, dans un contexte de stress financier important, seront prises au niveau du siège et non au niveau de la centrale de trésorerie. Dans de telles situations, il serait injustifié de rémunérer la centrale de trésorerie pour les fonctions réalisées.
4 – Enfin, les entreprises peuvent avoir recours à des abandons de créances. Toutefois, compte tenu de l’attention que porte l’administration fiscale à ces opérations lors des contrôles fiscaux, il est capital de tenir une documentation appropriée permettant de justifier du caractère normal de cette aide pour l’entreprise qui la consent (fondée sur l’intérêt propre de la société aidante). A défaut, la déduction de l’abandon pourrait être remis en cause fiscalement sauf à ce qu’il soit consenti à des entreprises sujettes à des procédures collectives. Dans ce contexte, il est à espérer que l’administration fiscale fasse preuve de souplesse s’agissant du caractère normal ou anormal de l’aide octroyée afin de ne pas constater nombre de liquidations ou redressements judiciaires (vous pouvez retrouver sur le site du cabinet LightHouse LHLF un article détaillé au sujet des abandons de créances).
En tout état de cause, étant donné le niveau d’incertitude quant à la reprise de l’économie, il est recommandé que les méthodes de financement et leur revue fassent l’objet à la fois d’une documentation robuste à travers l’analyse de différents scenarii selon des prévisionnels propres, et d’une vigilance accrue concernant l’actualisation des comparables utilisés.